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Accouchés de Carlos Crasseux


Déchet(s) recommandé(s)

Il y a connotation dans presque tout sauf les prénoms.

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ENCULÉE ET EXALTÉE

« Si tu ne ramasses pas tous tes jouets dans les dix prochaines minutes, m'avait-elle averti d'un ton tyrannique, je te jure que tu n'auras pas de dessert pour souper et que tu ne pourras aller rejoindre tes amis au parc ce soir. » Ça ne m'avait pourtant pas effrayé, peut-être parce que je savais bien que ma mère avait préparé son indigeste carré aux dattes, et Dieu sait à quel point je détestais cela et que de me priver de dessert ce jour-là me paraissait plutôt être la défense de mon allégresse quotidienne plutôt qu'un chagrin. Puis, pour les amis, disons que même si les soirées de mon enfance en témoignaient le contraire, je préférais en fait rester seul à la maison, à écouter la télé ou même dessiner quelques gribouillis en couleurs, assis sur la table de cuisine. Ainsi donc ce jour-là, j'avais, par paresse mais aussi dans un élan de provocation, omis de ramasser le désordre que j'avais causé dans ma chambre, affrontant ainsi le château de sable qu'était l'autorité de ma mère, dont les menaces faisaient jaillir en moi davantage de risette que de peur. Lorsque j'avais cru les dix minutes écoulées depuis déjà fort longtemps, j'avais monté les escaliers, tout sournois, puis j'étais allé me mettre à table. J'en fus tout consterné : ni ma mère, ni mon père n'étaient présents. Seule mon assiette de macaroni ainsi qu'un long verre d'eau se trouvaient sur la table. J'avais tout de même pris la décision de manger mon souper seul. Au fond, peut-être avaient-ils été pressés par quelque chose et qu'ils n'avaient pas pu m'attendre pour le repas, avais-je pensé. Mais alors que je me repaissais des pâtes orangées, j'avais entendu quelques bruits étranges en provenance de leur chambre à coucher. J'avais dès lors compris qu'ils y étaient tous les deux, sans trop savoir pourquoi. Les sons s'étaient montrés plus intenses au fur et à mesure que je continuais d'ingérer mon repas. Je croyais entendre des cognements, comme si l'on frappait le mur. Et puis au bout d'un moment, à la cacophonie étaient venus se mêler quelques sourds hurlements de ma mère. Cela m'avait aussitôt effrayé et ne sachant quoi faire, j'étais descendu dans ma chambre en vitesse.

C'est une bonne demie-heure plus tard que ma mère était venue se montrer dans le cadrage de ma porte de chambre. Ma mesquinerie étant passée, je craignais alors sa réaction de voir que je n'avais toujours pas remis mes jouets à leur place, mais mon incompréhension atteignait ici son paroxysme; elle ne m'avait jamais semblée aussi frivole ! Comme si ma désobéissance l'avait rendue toute béate. « As-tu mangé, mon cœur ? » m'avait-elle demandé d'un air doux. Après que j'eusse acquiescé d'un hochement de tête, elle m'avait alors dit : « Bien... au fait, la mère de Xavier a téléphoné il y a cinq minutes, elle fait dire qu'il est au parc et qu'il aimerait t'y voir. Veux-tu que je t'y emmène ou tu iras en bicyclette ? »

Les adultes, c'est ainsi que je ne les avais jamais compris; si cons et imprévisibles. Quel genre de sort avait-on jeté à ma mère pour qu'elle se montre si tendre, tout à coup ?

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  • 1 mois plus tard...

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LA TARTE AU SUCRE

Avec le temps, je pouvais désormais le dire franchement : je détestais plus que rien au monde le karaté, en plus d'éprouver un certain mépris pour mon père qui m'avait inscrit à ce sport ridicule. Ce qui me passionnait réellement, c'était en fait le dessin, mais ça, c'était bien trop dur à comprendre pour lui. Les adultes sont un peu stupides, ils croient savoir ce dont on a de besoin alors qu'ils ont tout faux en réalité. Pourquoi devais-je me présenter à ces interminables séances, entouré de tous ces abrutis, si j'avais plutôt envie de dessiner seul à la maison ? « Comme ça, tu vas apprendre à te défendre si jamais l'occasion se présente un jour. », m'avait répondu l'autre, convaincu, tout confortable d'énoncer une pareille sottise, alors que je me tâchais à lui faire part de tout mon mécontentement. Bon au moins à ce moment précis je pouvais me réjouir du fait que le cours était terminé, et que, comme il me l'avait promis, une grande pointe de tarte au sucre préparée par ma mère m'attendait à la maison. Ah ! Oui ! C'était au moins ça. Les ennuis et les bonheurs de mon quotidien avaient tendance à vivre en symbiose permanente, sans jamais la moindre rupture. C'est étrange, cette pensée me rappelait justement mes parents.

Lorsque nous étions arrivés à la maison, mon père s'était chargé d'emmener avec lui mon sac dans lequel j'y mettais mon accoutrement de japonais puis moi je m'étais empressé de me diriger dans la cuisine pour y trouver ma tarte au sucre. Ça avait été, encore une fois, l'extase telle que je la connaissais. Du coup, je m'étais retrouvé complètement conquis, et j'avais par ailleurs oublié tout ce qui m'importunait en d'autres circonstances. La vie est ainsi faite que le seul moyen que nous avons pour apaiser les maux qui nous tourmentent, c'est de goûter aux petits plaisirs éphémères. Et pour être heureux faut les accumuler, tyranniques, et ne voir que là. Mais pour les êtres que nous sommes, cela est plus souvent qu'autrement impossible. Parce que justement, alors que je me délectais de mon précieux dessert, j'entendais encore de drôles de bruits en provenance de la chambre à coucher de mes parents. Lorsque j'eus terminé de grignoter mon morceau jusqu'au moindre grain de caramel, je m'étais cette-fois ci décidé à aller voir ce qui pouvait donc se passer là-dedans. Je m'étais approché de la porte, l'avais entrouverte et puis c'est alors que j'avais vu quelque chose que je n'aurais peut-être jamais dû voir. Une horreur, pour ainsi dire. Mes parents m'ayant surpris à les espionner, avaient sur le coup tout cessé l'idiotie qu'ils commettaient. J'étais aussitôt descendu dans ma chambre en vitesse, en sanglots. J'avais pleuré toute la nuit. À un certain moment, mon père, ce gros connard sans manières, était venu me voir, comme pour me consoler. « Va chier ! », lui avais-je crié en pleurs. Il n'avait pas insisté davantage.

Aujourd'hui, je ressens toujours un peu de hargne envers lui. C'est peut-être même, en fait, le premier ennemi que j'aie eu dans toute ma vie.

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