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CES CHOSES PAS TRES JOLIES QUE VOUS TROUVEZ BELLES
1984 a publié un sujet dans #0037 - MATIÈRES ARTISTIQUES
CES CHOSES PAS TRES TRES JOLIES, QUE VOUS TROUVEZ BELLES Tout part de ce message : " If you can find beauty in everything, you're an artist" « La preuve en est dans ce qui arrive à propos des œuvres artistiques; car les mêmes choses que nous voyons avec peine, nous nous plaisons à en contempler l'exacte représentation, telles, par exemple, que les formes des bêtes les plus viles et celles des cadavres.» — Aristote, Poétique LA BELLE ET LA MOCHETÉ Il y a beaucoup de choses moches dans ce monde. Je ne parle pas de la guerre et de la faim dans le monde, je parle de ces choses, vous savez, ces choses qui n'ont pas demandé à être rejetées de la sorte. Les araignées, par exemple. Je les plains, car la peur qu'elles suscitent par leur aspect rebutant, c'est terrible. Ces petites bêtes n'ont rien fait à personne, elles ne sont même pas nuisibles. Discrètes, utiles, peu téméraires. De vrais compagnons de commodité, pourquoi tant de haine ? La peur, sans doute. Quand j'étais petite, je leur donnais des fourmis dans mon jardin. L'ESTHETIQUE DU CASUAL La contemplation type "American beauty" n'est pas vraiment la question, ici. Il ne s'agit pas non plus de convaincre qu'un sac plastique puisse être plus beau à regarder que des feuilles d'arbres... LA BEAUTÉ EST PERSONNELLE ...Il s'agit de vous. LE VIF DU SUJET James Nachtwey, série "Inferno" "I don't think tragic situations are necessarily devoid of beauty " Le photojournalisme de James Nachtwey vous questionne sur votre sentiment de beauté versus votre sentiment d'horreur face aux réalités des images. A vous de combattre intérieurement les sentiments contradictoires que ces photos font monter en vous. Exercice laborieux. Edward Burtynsky, "Manufacturated Landscapes" "Edward Burtynsky fait des photos explorant l'impact de l'humanité et de la civilisation sur le paysage naturel. Il se déclare voulant de sa photographie « une expérience d'immersion où les gens disent qu'ils font partie de l’œuvre mais ne doivent pas l'aimer ». Il dit vouloir créer cette tension, « de les avoir attirés et à la fois repoussés pour leur montrer le dilemme dans lequel on est » Martin Parr, série "Benidorm" "Je photographie la vie comme elle est, si les photos semblent grotesques c'est parce que vous pensez que c'est la vie. C'est parce que chacun de nous est beau et laid en même temps, agréable et désagréable. En somme, c'est la race humaine. " « Le beau n’a qu’un type le laid en a mille » Selon Victor Hugo, la source de la poésie, que l'on étend à l'art en général, se trouve dans le réel, ce qui l'emmène à penser à deux extrémités qui, unies malgré leur opposition, rendent possible la poésie. Ces deux extrémités sont « le sublime et le grotesque ». Pour lui, le laid est supérieur au beau car c'est le contact du difforme qui donne aux modernes quelque chose de plus pur, de plus grand , de plus sublime. Au contraire, le beau est simple et le laid s'harmonise, est un grand ensemble, il représente des aspects nouveaux mais incomplets. II LE CRAPAUD Que savons-nous ? Qui donc connaît le fond des choses ? Le couchant rayonnait dans les nuages roses ; C’était la fin d’un jour d’orage, et l’occident Changeait l’ondée en flamme en son brasier ardent ; Près d’une ornière, au bord d’une flaque de pluie, Un crapaud regardait le ciel, bête éblouie ; Grave, il songeait ; l’horreur contemplait la splendeur. (Oh ! pourquoi la souffrance et pourquoi la laideur ? Hélas ! le bas-empire est couvert d’Augustules, Les césars de forfaits, les crapauds de pustules, Comme le pré de fleurs et le ciel de soleils.) Les feuilles s’empourpraient dans les arbres vermeils ; L’eau miroitait, mêlée à l’herbe, dans l’ornière : Le soir se déployait ainsi qu’une bannière ; L’oiseau baissait la voix dans le jour affaibli ; Tout s’apaisait, dans l’air, sur l’onde ; et, plein d’oubli, Le crapaud, sans effroi, sans honte, sans colère, Doux, regardait la grande auréole solaire ; Peut-être le maudit se sentait-il béni ; Pas de bête qui n’ait un reflet d’infini ; Pas de prunelle abjecte et vile que ne touche L’éclair d’en-haut, parfois tendre et parfois farouche ; Pas de monstre chétif, louche, impur, chassieux, Qui n’ait l’immensité des astres dans les yeux. Un homme qui passait vit la hideuse bête, Et, frémissant, lui mit son talon sur la tête ; C’était un prêtre ayant un livre qu’il lisait ; Puis une femme, avec une fleur au corset, Vint et lui creva l’œil du bout de son ombrelle ; Et le prêtre était vieux, et la femme était belle ; Vinrent quatre écoliers, sereins comme le ciel. — J’étais enfant, j’étais petit, j’étais cruel ; — Tout homme sur la terre, où l’âme erre asservie, Peut commencer ainsi le récit de sa vie. On a le jeu, l’ivresse et l’aube dans les yeux, On a sa mère, on est des écoliers joyeux, De petits hommes gais, respirant l’atmosphère À pleins poumons, aimés, libres, contents, que faire Sinon de torturer quelque être malheureux ? Le crapaud se traînait au fond du chemin creux. C’était l’heure où des champs les profondeurs s’azurent ; Fauve, il cherchait la nuit ; les enfants l’aperçurent Et crièrent : « Tuons ce vilain animal, Et, puisqu’il est si laid, faisons-lui bien du mal ! » Et chacun d’eux, riant, — l’enfant rit quand il tue, — Se mit à le piquer d’une branche pointue Élargissant le trou de l’œil crevé, blessant Les blessures, ravis, applaudis du passant ; Car les passants riaient ; et l’ombre sépulcrale Couvrait ce noir martyr qui n’a pas même un râle, Et le sang, sang affreux, de toutes parts coulait Sur ce pauvre être ayant pour crime d’être laid ; Il fuyait ; il avait une patte arrachée ; Un enfant le frappait d’une pelle ébréchée ; Et chaque coup faisait écumer ce proscrit Qui, même quand le jour sur sa tête sourit, Même sous le grand ciel, rampe au fond d’une cave ; Et les enfants disaient : « Est-il méchant ! il bave ! » Son front saignait, son œil pendait ; dans le genêt Et la ronce, effroyable à voir, il cheminait ; On eût dit qu’il sortait de quelque affreuse serre ; Oh ! la sombre action ! empirer la misère ! Ajouter de l’horreur à la difformité ! Disloqué, de cailloux en cailloux cahoté, Il respirait toujours ; sans abri, sans asile, Il rampait ; on eût dit que la mort difficile Le trouvait si hideux qu’elle le refusait ; Les enfants le voulaient saisir dans un lacet, Mais il leur échappa, glissant le long des haies ; L’ornière était béante, il y traîna ses plaies Et s’y plongea, sanglant, brisé, le crâne ouvert, Sentant quelque fraîcheur dans ce cloaque vert, Lavant la cruauté de l’homme en cette boue ; Et les enfants, avec le printemps sur la joue, Blonds, charmants, ne s’étaient jamais tant divertis ; Tous parlaient à la fois, et les grands aux petits Criaient : « Viens voir ! dis donc, Adolphe, dis donc, Pierre, Allons pour l’achever prendre une grosse pierre ! » Tous ensemble, sur l’être au hasard exécré, Ils fixaient leurs regards, et le désespéré Regardait s’incliner sur lui ces fronts horribles. — Hélas ! ayons des buts, mais n’ayons pas de cibles ; Quand nous visons un point de l’horizon humain, Ayons la vie, et non la mort, dans notre main. — Tous les yeux poursuivaient le crapaud dans la vase ; C’était de la fureur et c’était de l’extase ; Un des enfants revint, apportant un pavé, Pesant, mais pour le mal aisément soulevé, Et dit : « Nous allons voir comment cela va faire. » Or, en ce même instant, juste à ce point de terre, Le hasard amenait un chariot très-lourd Traîné par un vieux âne écloppé, maigre et sourd ; Cet âne harassé, boiteux et lamentable, Après un jour de marche approchait de l’étable ; Il roulait la charrette et portait un panier ; Chaque pas qu’il faisait semblait l’avant-dernier ; Cette bête marchait, battue, exténuée ; Les coups l’enveloppaient ainsi qu’une nuée ; Il avait dans ses yeux voilés d’une vapeur Cette stupidité qui peut-être est stupeur, Et l’ornière était creuse, et si pleine de boue Et d’un versant si dur, que chaque tour de roue Était comme un lugubre et rauque arrachement ; Et l’âne allait geignant et l’ânier blasphémant ; La route descendait et poussait la bourrique ; L’âne songeait, passif, sous le fouet, sous la trique, Dans une profondeur où l’homme ne va pas. Les enfants, entendant cette roue et ce pas, Se tournèrent bruyants et virent la charrette : « Ne mets pas le pavé sur le crapaud. Arrête ! Crièrent-ils. Vois-tu, la voiture descend Et va passer dessus, c’est bien plus amusant. » Tous regardaient. Soudain, avançant dans l’ornière Où le monstre attendait sa torture dernière, L’âne vit le crapaud, et, triste, — hélas ! penché Sur un plus triste, — lourd, rompu, morne, écorché, Il sembla le flairer avec sa tête basse ; Ce forçat, ce damné, ce patient, fit grâce ; Il rassembla sa force éteinte, et, roidissant Sa chaîne et son licou sur ses muscles en sang, Résistant à l’ânier qui lui criait : Avance ! Maîtrisant du fardeau l’affreuse connivence, Avec sa lassitude acceptant le combat, Tirant le chariot et soulevant le bât, Hagard, il détourna la roue inexorable, Laissant derrière lui vivre ce misérable ; Puis, sous un coup de fouet, il reprit son chemin. Alors, lâchant la pierre échappée à sa main, Un des enfants-celui qui conte cette histoire — Sous la voûte infinie à la fois bleue et noire, Entendit une voix qui lui disait : Sois bon ! Bonté de l’idiot ! diamant du charbon ! Sainte énigme ! lumière auguste des ténèbres ! Les célestes n’ont rien de plus que les funèbres Si les funèbres, groupe aveugle et châtié, Songent, et, n’ayant pas la joie, ont la pitié. Ô spectacle sacré ! l’ombre secourant l’ombre, L’âme obscure venant en aide à l’âme sombre, Le stupide, attendri, sur l’affreux se penchant ; Le damné bon faisant rêver l’élu méchant ! L’animal avançant lorsque l’homme recule ! Dans la sérénité du pâle crépuscule, La brute par moments pense et sent qu’elle est sœur De la mystérieuse et profonde douceur ; Il suffit qu’un éclair de grâce brille en elle Pour qu’elle soit égale à l’étoile éternelle ; Le baudet qui, rentrant le soir, surchargé, las, Mourant, sentant saigner ses pauvres sabots plats, Fait quelques pas de plus, s’écarte et se dérange Pour ne pas écraser un crapaud dans la fange, Cet âne abject, souillé, meurtri sous le bâton, Est plus saint que Socrate et plus grand que Platon. Tu cherches, philosophe ? Ô penseur, tu médites ? Veux-tu trouver le vrai sous nos brumes maudites ? Crois, pleure, abîme-toi dans l’insondable amour ! Quiconque est bon voit clair dans l’obscur carrefour ; Quiconque est bon habite un coin du ciel. Ô sage, La bonté qui du monde éclaire le visage, La bonté, ce regard du matin ingénu, La bonté, pur rayon qui chauffe l’Inconnu, Instinct qui dans la nuit et dans la souffrance aime, Est le trait d’union ineffable et suprême Qui joint, dans l’ombre, hélas ! si lugubre souvent, Le grand ignorant, l’âne, à Dieu le grand savant. — Victor Hugo, "La légende des siècles" Lucian Freud "Je veux que la peinture fonctionne comme la chair. (...) Je voudrais que mes portraits soient ceux des gens mais ne soient pas comme eux. Pas l'apparence du modèle mais le modèle. (...) Pour moi, le tableau est la personne. Je veux qu'il fonctionne comme la chair." Roger Ballen (Auteur du clip "I fink U Freeky" des Die Antwoord) "Ces photos ont fait sensation car on a cru que je critiquais l'apartheid. Mais je n'ai jamais voulu faire un commentaire social ou politique. On trouve ce genre de personnes partout. Ce que je montre, c'est la condition humaine." « Je pense qu’il n’y a rien de mal dans ces photos ; ces gens ne sont pas ridiculisés. Pourquoi vous semblent-ils différents de vous et moi ? Pourquoi seraient-ils moins beaux que Miss Angleterre ? » « Prenez n'importe quel journal aujourd'hui, et vous trouverez des gens bien plus laids, et dans des situations bien plus difficiles. » Yue Minjun, L'ombre du fou rire "Je ne cherche pas l’élégance. En fait, ce que je peins est très vulgaire. (…) Cette vulgarité est plutôt bien accueillie par le grand public car lui non plus n’aime pas les choses élégantes. Je ne fais que m’adapter à ce goût populaire." Patricia Piccinini "I think people perceive my creatures as absurd because they look different, but at the same time, they are a little bit familiar. I want people to feel a kind of empathy with them. When you think about it, all nature is kind of strange looking.. in fact, I'm a strange a looking creature." Ce thread sera donc réservé aux œuvres liées à la double notion de laideur / beauté Images, récits, poèmes, œuvres...