La course secrète.epub
J’ai franchi la ligne d’arrivée avec le bras gauche qui pendait, comme mort. Les rayons X ont révélé une double fracture de la clavicule, une belle cassure en V. Plus par réflexe qu’autre chose, j’ai demandé si je pouvais continuer la course, et le médecin n’a pas hésité un instant : « Ce n’est pas possible. »La dépêche a fait le tour du monde : « C’est fini pour Hamilton. » La fracture de la clavicule est une blessure assez courante chez les cyclistes, et l’indication est claire : une ou deux semaines sans vélo, ça ne se discute pas. C’était catastrophique.J’ai consulté un deuxième médecin.Impossible.J’ai interrogé un troisième médecin – et celui-là m’a donné une lueur d’espoir. Il a dit que la fracture était nette, mais que les os étaient en place. Il y avait donc une chance. J’ai décidé de la tenter.
Le lendemain, en soufflant comme un bœuf et au prix de contorsions cuisantes, je suis parvenu à enfiler mon maillot. Le soigneur m’a posé quelques bandes pour immobiliser la clavicule. Le mécanicien a réduit la pression de mes pneus et ajouté trois couches de guidoline à mon guidon pour amortir les secousses. Pensant que je ne tiendrais que quelques minutes avant de renoncer, l’équipe a apporté ma valise au premier point de ravitaillement, comme ça je pourrais directement filer à l’aéroport.J’ai grimpé sur mon vélo.
Il existe différents types de douleur. Celle-là était nouvelle pour moi – plus vive, aveuglante ; si j’avais dû la décrire par une couleur, j’aurais dit vert électrique. Le moindre petit caillou faisait courir un éclair fulgurant de la pointe de mon doigt jusqu’au sommet de mon crâne ; j’étais partagé entre l’envie de hurler et celle de vomir. Seulement voilà : si tu peux supporter les dix premières minutes, tu peux en supporter davantage. Le temps ne compte plus. Curieusement, le chaos et l’intensité de la course avaient un effet apaisant. J’ai poussé plus fort, profitant de la douleur de mes muscles pour me distraire de celle de ma clavicule.
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On se demande souvent si l’EPO représente un danger pour la santé. A cela, je répondrai par la liste suivante :
Coude.Epaule.Clavicule (deux fois).Dos.Hanche.Doigts (multiples).Côtes.Poignet.Nez.
C’est tout ce que je me suis cassé pendant ma carrière de coureur. Dans la profession, ça n’a rien d’extraordinaire. C’est ironique : le cyclisme est censé être bon pour la santé. Mais quand on regarde les pros, on voit ce qu’il en est vraiment : le cyclisme n’a absolument rien d’un sport sain. (Comme le dit mon ancien coéquipier Jonathan Vaughters, si tu veux savoir à quoi ressemble le métier de coureur cycliste, monte dans ta voiture en slip, roule à 65 kilomètres-heure et saute par la fenêtre sur un tas de ferraille.) Alors, en ce qui concerne les risques liés à l’EPO, ils paraissent franchement assez faibles
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L’excitation de la compétition a quelque peu atténué la douleur à mon épaule gauche, qui me faisait quand même salement souffrir. C’était une douleur profonde, intense, comme si on m’avait planté un tournevis dans l’articulation et qu’on le remuait. L’adrénaline de la course l’a masquée quelque temps, mais cet effet a fini par s’estomper et il n’y a plus eu que la douleur. Alors je me suis mis à grincer des dents. Ce n’était pas volontaire, juste un réflexe au départ. Mais je me suis aperçu que, quand je le faisais vraiment fort – quand je ressentais cet agréable frottement de la dent sur la dent –, ça me soulageait. Je sais que ça paraît bizarre, mais grincer des dents m’a procuré une distraction, le sentiment d’une maîtrise. Le montant des honoraires de mon dentiste en atteste, j’y ai peut-être été un peu fort (il a fallu me poser onze couronnes). Mais ça a marché
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